Bienvenue sur Dandelion

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Le blog estampillé Littérature 2.0

Chroniques littéraires et observateur de la dématérialisation du Livre

lundi 11 mars 2013

Patients de Grand Corps Malade

Dans la vie nous faisons parfois des rencontres fondamentales. De celles qui font basculer irrémédiablement nos destinés. Elles ne se présentent souvent qu’une seule fois. Si vous les ratez vous passez à coté de ce qui deviendrait pourtant l’évidence même du reste de votre vie. Elles peuvent prendre plusieurs formes. Individu bien entendu mais aussi évènement heureux ou tragique, objet en tout genre, œuvres diverses, film, chanson, livre. Comment les reconnaître ? Il n’y a pas de méthode. Quand vous les subissez vous les reconnaissez naturellement. Ce qui paraissait auparavant incongru, inutile devient alors légitime, essentiel.

10 mars 2007. Un samedi soir dans le canapé, devant la télé. A priori pas de rencontre de prévue. Et pourtant.
Sur la deux, c’est la grande messe de la musique française. C’est moins marrant que l’Eurovision mais ça permet de se remettre à niveau. Et puis y’a rien d’autre à regarder.

Ce soir là c’est le sacre de Bénabar et d’Olivia Ruiz.
23H00 On va se coucher me demande Madame ?
C’est à ce moment là qu’un grand garçon un peu dégingandé prend la scène. Il vient de recevoir sa seconde breloque. (Artiste révélation scène et album révélation de l’année). Il entonne son titre phare Midi 20.

Une réflexion :
- "un peu facile quand même, maintenant quand on ne sait pas chanter, on essaye même plus, on se contente de réciter. "
Ce soir, c’est pourtant l’avènement d’un nouveau genre, le slam puisque qu’un autre slameur, Abd Al Malik remporte la victoire de l’album de musique urbaine de l’année.
J’étais tellement à coté de la plaque. Je vais me coucher… pendant plus d’un an.

31 mars 2008. Sortie du second album de Grand Corps Malade, Enfant de la ville.
Ah oui je me souviens, les Victoires de la musique l’année dernière. Mais pourquoi suis-je tellement attiré par ce truc ? Avec le recul, je dirais l’intuition d’une rencontre…
J’ose donc. Des années que je n’avais pas acheté un CD. Rentré à la maison je m’empresse de transférer tout cela sur le baladeur et puis rapidement vais (encore) me coucher, je suis un gros dormeur...
La dernière nuit de mon ancienne vie. J’exagère à peine.
Le lendemain matin c'est la fin d’hiver. Mon bus arrive. Pas envie de courir, je lance tranquillement Enfant de la ville dans les écouteurs. En quelques secondes, j’ai tout compris. Quelques notes de piano. Une voix aux intonations de baryton africain. De la poésie. Je jette un œil sur l’écran du baladeur, le titre s’intitule 4 saisons. Je prend une grande gifle puis une autre et encore une. J’arrive au bureau les joues rouges.
- Ca va A…. ?
- Oui très bien je viens de faire une rencontre... dans le bus.
- A ouai et tu sais comment elle s’appelle ?
- Heu… Fabien…

Depuis, cette rencontre en a engendré bien d’autres et a changé le cours de ma vie.

http://blowawaydandelion.blogspot.fr/


Fabien Marsaud alias Grand Corps Malade a lui aussi fait une rencontre fondamentale. Avec le fond d’une piscine que l’on avait oublié de remplir. J’ai beaucoup entendu dire que si Fabien n’avait pas eu cet accident, il ne serait pas devenu ce qu’il est aujourd’hui. J’aime à le penser mais je n’en sais fichtrement rien. Le slam serait-il venu à lui tout de même ?  A cette question lui-même ne sait pas vraiment quoi répondre. Il écrivait déjà avant l’accident, mais y aurait-il mis la même énergie en continuant son rêve de devenir sportif de haut niveau ?

Vous ne trouverez pas la réponse dans son livre Patients. Vous n’y trouverez pas non plus d'explications sur sa découverte du slam. Dans ce récit Grand Corps Malade y décrit son année passée dans un centre de rééducation après son accident, de son entrée totalement paralysé, victime d’une tétraplégie, à sa sortie.
Je vous vois venir, c’est encore un livre de star de la chanson écrit par un nègre et qui doit n’avoir que peu d’intérêt littéraire. Et bien si c’est le cas détrompez-vous. Sinon, précipitez vous dans votre librairie préférée.
Vous aurez alors l’occasion de découvrir un témoignage poignant au abord si dramatique écrit pourtant avec légèreté, auto-dérision,  truffé d’humour et d’un réalisme qui donne l’impression d'avoir été écrit à l’intérieur du centre, à la manière d’un reporter.

Grand Corps Malade a intitulé son livre Patients. Choix tellement judicieux. Ce titre, il nous l’explique dès les premières pages, revêt en fait, deux dimensions. Car il faut l'apprendre, la patience, lorsque l’on se retrouve patient de médecin de ce type d’établissement. En y entrant, votre autonomie tutoie le néant et chaque geste du quotidien, du plus habituel au plus intime, repose sur la bienveillance du personnel de rééducation.

Fabien, Grand Corps Malade n’existait pas encore, entre au centre en état de tétraplégie incomplète. Cela signifie qu’il demeure un espoir. Que quelque part en dessous du cou, un muscle répond encore. Pour lui c’est l’orteil gauche. C’est en s’accrochant à cet infime espoir, que Fabien, va alors lentement, recouvrir l’usage de ses jambes. Pourtant, c’est dans un moment d'euphorie que l’on choisi de lui faire comprendre qu’il ne deviendra jamais le basketteur professionnel dont il rêvait. Il ressortira debout et c’est déjà pas mal quand pour la plupart de ses condisciples, il n’y a déjà plus de d’espoir. Alors, plutôt que de réjouissance, l’on apprend la pudeur voire la culpabilité de parvenir à s’en sortir.
Fabien y aborde également le thème du suicide, à la fois porte d’entrée au centre mais aussi porte de sortie potentielle pour ceux qui ont perdu l’espérance d’une issue acceptable.
Vous doutez encore, je vous offre deux passages du livre pour finir de vous convaincre :

Page 44 :
C’est ici qu’un jour, tous les deux, on a eu cette discussion sur le concept de « gâcher » un moment de sa vie.
Je ne sais plus comment c’est venu, mais on a imaginé un mec qui, en allant à une soirée, tombe en panne d’essence et, au lieu de passer le bon moment qu’il a prévu, attend qu’on le dépanne pendant plusieurs heures. Le mec se dit alors : « Putain, j’ai vraiment gâché ma soirée… »
Après, on a parlé du mec qui, la veille de sa semaine au ski, se casse la cheville en jouant au foot avec ses potes. Il peut alors légitimement se dire : « Putain, j’ai vraiment gâché mes vacances… »
Ou encore le sportif qui se déchire les ligaments du genou à l’aube de sa saison et qui se plaint : « Putain, j’ai vraiment gâché mon année… »
Ben nous, avec Toussaint, on a pris un peu de recul sur notre situation, et en se marrant, mais avec un grand silence derrière, on s’est dit : « Putain, on a vraiment gâché notre vie… »


Page 120 :
Personne d’autre ne sait mieux que moi aujourd’hui qu’une catastrophe n’arrive pas qu’aux autres, que la vie distribue ses drames sans regarder qui les mérite le plus.
Mais, au-delà de ces lourds enseignements et de ces grandes considérations, ce qui me reste surtout de cette période, ce sont les visages et les regards que j’ai croisés dans ce centre. Ce sont les souvenirs de ces êtres qui, à l’heure où j’écris ces lignes, continuent chaque jour de mener un combat qu’ils n’ont jamais l’impression de gagner.
Si cette épreuve m’a fait grandir et progresser, c’est surtout grâce aux rencontres qu’elle m’aura offertes.



Ah oui les rencontres…

AL

Liens:

- Le site officiel de Grand Corps Malade

- Grand Corps Malade dans La Grande Librairie France 5:




And now, don’t waste your time on Dandelion and will to read a fucking book !


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